Apres l'épopée du Ministère A.M.E.R et les albums solo du Doc Gynéco et de Stomy Bugsy, les Neg' Marrons sont le dernier fusible en date du Secteur Ä, un collectif musical de Garges-Sarcelles dont ils assurent le versant ragga.

Un fusible de plus qui pourrait bien court-circuiter une scene ragga parisienne passablement assoupie qui devrait passer à la vitesse supérieure apres un crochet par la "Rue Case Negres", le premier album des Neg' Marrons.

"Dans les colonies françaises, quand un esclave s'échappait et qu'il était rattrapé, on lui coupait les deux oreilles et on le marquait au fer rouge avec une fleur de Lys. Lorsqu'il récidivait, il était marqué d'une deuxieme fleur de Lys et on lui coupait le jarret. S'il était encore rattrapé, cette fois on le tuait. C'est ainsi qu'on nommait ces esclaves en fuite vers la liberté qui s'échappaient au péril de leur vie : les neg' marrons. Nous, aujourd'hui, on a repris ce nom pour bien signifier que nous sommes aussi des affranchis à notre niveau, que l'on veut se
démarquer des différents préjugés que les gens peuvent avoir sur nous, un groupe Noir qui
vient de banlieue. On fuit ces préjugés et les étiquettes que l'on s'empresse de nous mettre
sur le dos. Malgré tous les obstacles que l'on ne manquera pas de rencontrer sur notre parcours, même avec une muselière on continuera à faire ce qu'on a à faire et à dire ce qu'on a à dire ! ".

Ben-J (Congo), Djamatik (Martinique) et Jacky (Cap-Vert), les trois protagonsites de Neg' Marrons aiment à rappeler que leur histoire, au delà de celle d'un groupe, est avant tout celle d'une bande de potes qui ont grandi dans le même quartier, ont connu les mêmes délires et les mêmes galeres. Une expérience commune qui a consolidé le collectif et inscrit le groupe
dans la durée, a contrario de ce qu'aurait pu laisser à penser le succes médiatique éclair de "La Monnaie".

C'est ce titre paru sur la bande originale du film "Raï" de Thomas Gilou ("Black Mic Mac"), qui révélera les Neg' Marrons au grand public alors qu'ils officiaient jusqu'alors à l'ombre, sous les bons auspices des producteurs parisiens du Ragga Dub Force et affinaient leur style sur les
bootlegs instrumentaux de leurs pairs jamaïcains.

"C'est la monnaie qui dirige le monde / C'est la monnaie qui dirige la Terre / Et qu'on le veuille ou non / C'est comme ça et on ne peut rien y faire" : ce refrain squattera pour un temps des
milliers d'esprits touchés par le verbe réaliste et constituera pour le groupe sa carte de visite
officielle.

Une carte de visite payante qui devait annoncer le premier album du groupe, enregistré en deux sessions live dans un studio de Londres avec les musiciens du Ruff Cut Band, une section rythmique jamaïcaine qui a soutenu les plus grands noms du reggae. "On adore le son Studio One. Pour cela il fallait qu'on enregistre l'album avec des Jamaïcains, seuls capables de reprendre ce type de reggae. Il n'y a qu'eux qui pouvaient nous rendre ce son. L'enregistrement s'est passé rapidement. Tous nos textes étaient prêts et musicalement, on savait tres précisément ce dont on avait envie. Il n'était pas question d'improviser en studio, c'était carré !

Un premier album quasiment conceptuel, conçu comme une bande originale, celle de la "Rue Case Negres", nom tiré du film de la réalisatrice Euzhan Palcy, un film qui est aujourd'hui culte dans la communauté antillaise.

"La Rue Case Negres, ç'est comme ça que l'on nomme notre quartier. C'est là que l'on habite, c'est notre muse en quelque sorte, notre source d'inspiration d'où découlent tous les titres de l'album. Et tous les morceaux sont importants à nos yeux. Comme dans un puzzle où toutes les pieces comptent, les grosses autant que les petites. C'est un tout, un ensemble. Tous refletent l'état d'esprit Neg' Marrons".

C'est ainsi que tout au long de l'album, la caméra des trois compères nous donne à capter les humeurs du quartier, bonnes et mauvaises, tragiques et comiques ("La Rue Case Negres m'a tout appris / J'y ai connu mes joies mes peines / En un mot la vie").

D'entrée de jeu les Neg' Marrons donnent le ton en exhortant les jeunes du ghetto à ne pas s'apitoyer sur leur sort jugé peu enviable et qui excuserait par avance l'apathie de certains, fustigée par ces mots : "Jeune homme leve-toi, bats-toi / L'avenir appartient à celui qui s'impose et qui ne baisse pas les bras". Pas question donc de se laisser dépasser par la galère, la solution passe en partie par l'esprit d'entreprise, hors circuit institutionnel de préférence puisque à l'A.N.P.E ("Aucun Nègre Pour l'Emploi"), le tri au faciès s'opère efficacement (aussi impitoyablement qu'à l'entrée des discothèques...).

Le systeme D est donc de rigueur. Mais attention, dans certain cas le réflexe de survie se joue à quitte ou double et les Neg' Marrons n'oublient pas les jeunes qui périssent en prison,
victimes d'un faux-pas ("Que vont-ils devenir ?"). Car la rue est parfois mortelle avec ses propres enfants, elle leur dicte ses lois et à force de les défier on finit toujours par trouver plus fort que soit et plus vicieux que soit. Plus dure en est la chute ("Trop longtemps"). Ainsi va la
vie Rue Case Negres, côté pile.

Sur l'autre face, le ton se veut délibérément plus léger, faussement parfois, avec souvent une bonne dose d'humour comme sur "Ménage à 4" où une jeune fille ne sait plus où donner de la
tête, étourdie qu'elle est à subir les assauts séducteurs des trois Neg' Marrons.

"Dawa", véritable modele du genre ragga créole, nous offre un aller-simple pour les Antilles dans une ambiance authentique de carnaval. Et apres une petite "Virée" sur Paris, l'heure des
désillusions sonne à l'aube des "20 ans" : "20 ans, la réalité n'est pas toujours bonne à voir / 20 ans, nos rêves d'enfant en fait n'étaient qu'illusoires".

Puis le week-end vient ranimer la "Rue Case Negres" qui conclut ses tribulations "Tel une bombe", un morceau rap qui réunit le staff du Secteur Ä au grand complet (Stomy B, Doc
Gynéco, Ahmed Daye, Passi et Arsenik) : un all-star inédit en guise de porte de sortie.

Ainsi va la vie de l'autre côté du périph', ainsi vont les Neg' Marrons dans la "Rue Case Negres", devenue lieu de prédilection du Raggarges-Sarcelles.